« Si la matière grise était plus rose, le monde aurait moins les idées noires »

Matière grise et rose

 

Permettez-moi d’inaugurer ce nouvel espace par cette citation de Pierre Dac et par ce billet d’humeur engagé, emprunt d’un optimisme délibéré.

 

Comment rester optimiste, quelques mois après ce « 11 septembre français », qui a noirci notre Histoire (pas que de pancartes Je suis Charlie), tué encore plus d’espoir que d’hommes, et engendré plusieurs déplacements tectoniques, silencieux mais profonds, qui changent notre relation au monde ?

Comment rester optimiste, dans une époque où les citoyens sont passés de l’indifférence voire de la défiance envers nos gouvernants, à la désespérance voire la haine, traduites dans les urnes par l’abstention massive et le vote pour les partis extrêmes ? Comment rester optimiste quand la crise d’un système en fin de cycle vire à la guerre fratricide, à la haine de l’autre et de ses différences ?

Comment rester optimiste, à l’heure où les Zemmour, Houellebecq, Finkielkraut et autres opportunistes de la pensée, se réfugient dans une vision du monde rétrograde, régressive et focalisée sur un passé idéalisé, diffusant partout sur les ondes l’obsession du déclin de la France et le fantasme d’un « grand remplacement », voire d’une guerre intérieure à mener ?

Comment rester optimiste, quand le « globalitarisme » rejette le local à la périphérie, alors que c’est ce parent pauvre qui bat dans le cœur des Français ? Comment rester optimiste, quand le repli communautariste semble reléguer le « vivre ensemble » et les valeurs fondamentales de la République au rang d’utopie ?

Comment rester optimiste, dans un monde digital massivement sur écoute, où les réseaux sociaux marquent indéniablement, à coups de selfies et duckfaces, l’apogée de la société individualiste de masse, plus que l’avènement d’une démocratie participative renouvelée ?

Comment rester optimiste, dans un paysage communicationnel dont les budgets confinent à la peau de chagrin depuis la crise ? Comment rester optimiste, alors que les médias s’adonnent au bashing des dépenses de com’ publique, sans chercher à distinguer les investissements nécessaires de l’argent jeté par les fenêtres ? Comment rester optimiste, quand les équipes tremblent avant chaque élection et se retrouvent au placard après ? Comment rester optimiste, devant ces messages de « com’ publique » d’un nouveau genre, qui s’affichent, comme à Béziers, à coups de calibres 7.65 dans toute la ville  ?

J’arrête, car la liste est bien trop longue… Cela semble un chouïa compliqué, hein ? Et pourtant, non seulement, c’est possible, mais pour tous les communicants et, spécialement ceux du secteur public, en ces temps sombres et de crise, cela semble un devoir. Comme l’écrivait Eric Emmanuel Schmitt

Evidemment, ce combat, chacun est libre de le mener, dans l’ombre ou la lumière, en prose ou en silence, à l’échelle qui lui sied, en apportant sa pierre ou simplement son caillou à l’édifice, comme il l’entend ou le peut. Pour ma part, j’ai depuis longtemps choisi mon camp, derrière feu Bernard Béguin, édimestre engagé de P’com’publique, qui écrivait : «J’aime souvent comparer notre « communauté internautique » à un voyage au long cours : le chalutier, les mouettes qui suivent, les « coups de tempête », le cap à garder, les mutineries parfois… Mais aussi, un superbe équipage avec des matelots que nous embarquons dans chaque port, qui viennent apporter leurs compétences des Océans de la Com’, à chaque escale… Moi qui n’ai rien d’un marin, l’image me convient assez…».

Pas plus marin que lui, j’ai pourtant rejoint les rangs de l’équipage, derrière Dominique Mégard, fondatrice de Cap’Com, Marc Thébault avec ses pensées, humeurs et techniques de com qui façonnent le métier, Fabrice Jobard et ses brillants éditos dans la Lettre du Cadre, Florence Durand-Tornare, fondatrice éclairée de Villes Internet et tous les autres… Je pense aussi aux médias, comme La Gazette des Communes, Cap’ComActeurs Publics, Blog-territorial et maintenant Brief, qui donnent la parole à des voix engagées. Je pense encore, dans le désordre, à Bernard Deljarrie, Bernard Emsellem, Bruno Cohen-Bacrie, Gilles Gagnaire, Pierre-Marie Vidal, Pascal Nicolle, Frédéric Theulé, Benjamin Teitgen, Séverine Alfaiate, Marc Cervennansky, Joël Gayet, Hervé Bourdon, Vincent Gollain, Laurent Riéra, Xavier Crouan, Eric Legale, David Tabary, Pierre Renaud, Franck Menigou, Christophe Disic, Christophe Bultel, Jean-François Legat, Yann-Yves Biffes, Philippe Deracourt, Franck Plasse, Benoît Thieulin, Thierry Saussez, Dominique Wolton et tant d’autres « plumes » qui font bouger les lignes. Et lorsque l’un de ses membres est attaqué, comme Adriano Zagno, qui raconte le combat du pot de terre contre la collectivité de fer, dans sa « Lettre à mon (ancien) Président« , la grande famille de la communication publique resserre les rangs.

Alors oui, gardons espoir, car autour de moi, je le vois, nous sommes des centaines, même des milliers de communicants publics à continuer de faire avancer le Schmilblick, en repartant gaiement au front citoyen, malgré la pilule difficile à avaler du taux d’abstention aux dernières élections, les rouages grippés de la machine, la pluie de contraintes, et ce contexte de morosité dépeint plus haut. Parmi ceux-là, des dizaines osent prendre la parole, et pas plus tard que dans le dernier Brief, Séverine Alfaiate, dircom innovation numérique et citoyenne de la ville d’Orsay (91), nous raconte comment elle mène son combat pour l’éveil – le réveil ? – à la citoyenneté et l’éducation civique, en regardant les chiffres de l’abstention en face.

 

Quel tremblement de terre, ces élections 2015 ! Au lendemain des municipales, Marc Thébault nous servait sa soupe chaude « à la crème ou à la grimace », tandis que Benjamin Teitgen interrogeait la profession : « communicant public, après l’indignation, on fait quoi ? ». Au lendemain des départementales, Bernard Deljarrie narrait les lendemains difficiles racontés par les dircoms publics… pour ne pas parler de « gueule de bois » !

Quelques mois plus tôt, Séverine Alfaiate faisait pourtant des propositions concrètes, dans cet article fondateur « Communication publique : qu’a-t-on loupé pour tant nous justifier ? », tandis que Marc Thébault faisait des tentatives de cadrage pour bâtir des liens professionnels durables entre dircoms et nouveaux élus. Certes, les idées sont là, mais il faudra du temps pour qu’elles fassent leur chemin.

Au croisement de ces réflexions, m’a semblé émerger le nécessaire besoin d’un recul autocritique, voire de catharsis, pour continuer à avancer… Oui, on a raté un truc, mais quoi ? Et maintenant, on fait comment ? Dis, tu crois que ce n’est pas trop tard ? Alors, en toute franchise, si on se l’avoue… N-a-t-on jamais baissé les bras ? A-t-on suffisamment remis en question nos pratiques, nos supports, nos vielles habitudes de communication ? N’a-t-on pas laissé passer quelques belles opportunités aptes à porter des visions renouvelées des territoires ? En 2006, le thème du forum de la communication publique Cap’Com, qui se tenait à Tours, comme il s’y tiendra à nouveau en décembre, nous invitait à «risquer la communication». Souvenez-vous…

 

Alors, l’a-t-on fait ces dix neuf dernières années? A-t-on vraiment osé risquer la communication ? Certains oui, d’autres non, me direz-vous, mais le bilan reste très mitigé. Or, aujourd’hui, la communication publique ne devrait plus avoir peur d’oser. Oser affirmer sa spécificité, oser revendiquer sa part d’optimisme et d’intérêt général, oser prendre son époque à bras-le-corps. Oser l’innovation, la participation, l’ouverture au dialogue, l’évolution, les nouvelles techniques de management et de production. Oser l’usage des nouveaux outils : du réseau social interne aux nouveaux réseaux sociaux, là où se trouvent les jeunes, avec maîtrise de leurs codes, en passant par le marketing territorial, l’e-administration, le serious game ou encore l’open data. Bref, oser la communication ! Sans non plus jamais céder à la tentation de la « com pour la com », secteur public oblige. Car, contrairement à la pub, qui tourne souvent en boucle et à vide, elle reste au service de l’intérêt général et ne pourra exceller que si elle porte un projet qui a du sens.

L’un des plus gros autres chantiers reste la restauration de la confiance : d’abord la confiance entre les élus et leurs équipes, l’indispensable moteur – et ce n’est pas toujours chose aisée, après un changement de gouvernance notamment. Ensuite, la confiance primordiale entre les citoyens et leurs institutions ! Cela signifie, entre autres, une communication plus authentique, sincère et proche des gens. Première pierre d’une reconquête plus globale, qui ne passe pas que par la com’, mais reste plus que jamais, en ces temps obscurs, un enjeu de société ; car la communication publique c’est l’intérêt général, l’éducation citoyenne, le vivre-ensemble…

Enfin, comment recréer une confiance numérique, mise à mal par les finalités très floues de la dernière loi sur le renseignement, l’exploitation massive des données personnelles et les atteintes à la vie privée ? Comment ré-enchanter les services publics en ligne ? Comment faire évoluer ses pratiques, amorcer sa révolution digitale ? Comment s’organiser face à un GAFA (Google Apple Facebook Amazon), qui rigole devant les rappels à l’ordre et amendes de la CNIL ? Comment concilier services au citoyen, sécurité et liberté ? Contre un monde à la 1984 d’Orwell, construit par certains, la vision de Rodolphe Pesce, ancien maire de Valence (1977-1995) reste un combat : «Permettre au citoyen d’accompagner les décisions, voire de les contester, implique de lui donner les moyens d’exercer ses droits, ce qui nécessite une communication réellement interactive en partie à inventer».

Quant au reste, tout le reste, c’est à nous, chers communicants, qu’il revient de peindre en rose les fruits de notre matière grise-claire, grise-foncée, voire idées noires ! Vaste programme, me direz-vous… Mais n’est-ce pas un beau dessein ? Dans une société minée par la crise et « au bord de la crise de nerfs », la communication ne peut-elle pas contribuer à l’optimisme, en permettant à ses bâtisseurs de se rassembler et en soutenant des visions d’avenir ? L’optimise forcené n’est-il pas une forme de combat efficace ? Allez, je vous laisse y réfléchir, je retourne à mon tablier, mes pinceaux et ma peinture rose. Maintenant, vous connaissez mon cheval de bataille pour les années à venir…

Et bienvenue dans mon petit laboratoire à idées ! Vous retrouvez ici quelques-uns de mes articles publiés sur Blog-territorial, mais pas seulement… Stratégies, techniques et outils de com’, tutoriels, idées, retours sur événements et billets d’humeur, comme aujourd’hui : on en parle ?

 

A vous la parole !

déclarations qui seront retenues contre vous :

Consultant indépendant | Digital lover | Communication publique et corporate | Auteur, formateur et conférencier | Fondateur de l'Observatoire socialmedia des territoires | Membre-fondateur DébatLab | Ex directeur agence Adverbia et blog-territorial

 

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