Les réseaux sociaux nous rassemblent… et nous ressemblent

13novembre
Oui, relayer un tweet peut sauver des vies, comme l’a dit le General Philippe Boutinaud des Pompiers de Paris ! Dès le début des attentats, la solidarité s’est organisée spontanément sur Twitter. Dans la foulée, Facebook a sorti les grands moyens avec son « safety check », suivi par Snapchat, AirBnB, Uber et le GAFA. Focus sur les dispositifs déployés, les actions fraternelles spontanées et ce formidable élan de solidarité sur les réseaux sociaux ; mais aussi son « coté obscur », avec ses messages de haine, récupérations et fausses rumeurs…

13 novembre 2015, journée de la gentillesse. Il est 21h45, lorsque je découvre sur Twitter le drame qui ensanglante déjà Paris depuis 20 minutes. Vingt minutes, si longues, pour nos concitoyens sous les rafales. Vingt minutes, si courtes, pour que l’information fasse le tour de tous les réseaux sociaux…

On annonce une fusillade dans un restaurant cambodgien : « ça sent pas bon », relaient les premiers twittos qui pressentent déjà le pire.

On parle d’une tuerie dans le 10e arrondissement de Paris, certains parlent de coups de feu « jusqu’aux Halles ». Les premiers bilans font état « de nombreux blessés ».

Sept morts, puis dix ; un sentiment étrange mêlé de consternation, d’effroi, de tristesse, et de colère commence à se diffuser. Personne n’a encore rien revendiqué mais tout le monde a compris. Le chiffre des victimes ne cesse d’augmenter, jusqu’à en donner le tournis, tout au long de la nuit, franchissant de nouveaux paliers d’horreur, à chaque « bilan » annoncé avec les précautions d’usage. On assiste au drame du Bataclan sur Periscope, impuissant, en direct, on appelle sa famille, on s’inquiète pour ses amis : Paris embrasé semble tout à coup si petit dans cet enfer… Tout Parisien a un ami, une connaissance ou un ami d’ami concerné par le drame. Pour les autorités, le mot est lâché : c’est la guerre.

Sur Twitter, la solidarité s’organise spontanément

Tandis que #AttackParis et #ParisAttacks font immédiatement le tour du web, les premiers hashtags de soutien et d’émotion entrent très vite en Trending Topics : les #PrayForParis #JesuisParis fleurissent comme des chrysanthèmes. Ce dessin, d’abord repéré par CNN, va devenir culte.

Mais le plus touchant est sans doute cet élan de solidarité, qui s’organise spontanément autour du hashtag #PorteOuverte, un peu avant 23h. Concrètement, plus de 20.000 Parisiens proposent d’accueillir chez eux les personnes qui se trouvent en insécurité ou bloquées au milieu des stations de métro fermées, des réseaux téléphoniques saturés et des quartiers quadrillés. Des centaines de personnes trouvent ainsi rapidement un refuge. Twitter note que le hashtag sera repris plus d’un million de fois, atteignant 7000 tweets par seconde, au moment de l’assaut du Bataclan. Le chaos fait ensuite place à la douleur des familles et amis qui, perdus, recherchent leurs proches et font le tour des hôpitaux parisiens, en « lançant des bouteilles à la mer twiterrienne ». C’est là que le hasthag #rechercheParis entre en action. Le défilement de tous ces visages, souvent jeunes ou d’enfants, devient insupportable pour certains. Triste preuve, s’il en fallait une de plus, qu’une image « vaut mille mots » et probablement cent chiffres. Et pourtant, grâce au RT (retweet), de nombreuses familles ont pu retrouver leurs proches disparus, comme le raconte le Huffigton Post. D’autres, apprendront leur décès, sur Twitter et sous nos yeux.

C’est dans ces moments, dramatiques ou heureux qui font l’Histoire, qu’on comprend pourquoi Twitter est, plus que tous les autres réseaux sociaux, le lieu du « web instantané ». Mieux qu’une théorie de la communication ne vous l’expliquera jamais, il faut le vivre pour en prendre la mesure. Les élus d’Afrique du Nord que j’ai eu l’occasion de former l’ont bien compris, depuis les révolutions arabes, et je peux vous assurer qu’ils prennent la question très au sérieux. Dans notre beau pays, combien pourront encore longtemps refuser ce phénomène de société, en accentuant le sentiment d’élus, pas seulement « déconnectés » des réseaux, mais de la réalité des Français ?

C’est dans ces moments, qu’on comprend aussi ce qui fait la spécificité de chaque réseau social. Le « réseau de microblogging » s’est contenté d’un message d’information, invitant ses utilisateurs à suivre le compte de la préfecture de police et a eu le bon goût de suspendre toutes ses publicités ; ce qui était loin d’être le cas pour tous les réseaux, sans parler de tous ces gens qui avaient oublié de débrancher leurs bots et tweetaient sur les « 7 erreurs du marketing » en plein assaut…

Quoi qu’il en soit, c’est bien sur ce réseau, car il est plus ouvert et immédiat, que la solidarité s’est immédiatement et spontanément organisée en premier avec #PortesOuvertes. Et ensuite, via #VoyageAvecMoi, des twittos proposaient aux musulmans ayant peur des représailles de les accompagner dans les transports, comme au lendemain du 11 janvier. Sur Facebook, « le réseau des réseaux » ou encore Snapchat « le réseau des jeunes « , c’est un mode opératoire plus directif et encadré, qui a été massivement déployé…

Facebook prouve son utilité avec le « safety check »

Il est à peu près 1h du matin, lorsque le réseau social qui réunit 30 millions de Français chaque jour active son dispositif « safety check ». Il s’agit d’une application destinée à rassurer ses amis en cas d’événement dramatique, inaugurée lors du séisme au Japon et déployée « la première fois pour ce type d’événements ». Facebook prend alors des nouvelles des Parisiens sur leur smartphone, en demandant à chaque personne pouvant être dans cette zone si elle est « en sécurité » : « Vous allez bien ? Il semble que vous soyez dans la zone touchée par les attaques terroristes à Paris. Informez vos amis

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Dimanche, Facebook indiquait que près de 6 millions de personnes s’étaient ainsi signalées. Parfois à tort et à travers, comme celles qui n’avaient jamais mis un pied à Paris. Parfois en cristallisant l’anxiété sur des personnes, qui ne s’étaient pas signalées, parce qu’elles étaient loin du drame, et tout simplement non connectées. Mais pour l’immense majorité, ce signalement a permis de stopper le flot d’appels et de SMS inquiets qu’ils recevaient. Ainsi certains y voient, pour la première fois, la « réelle utilité de Facebook ».

Beaucoup d’internautes se demandant pourquoi ce dispositif n’avait pas été déployé pour les récents attentats au Liban, Mark Z. se justifie. enhanced-523-1447600396-8 D’autres se demandent si c’était le rôle de Facebook et s’inquiètent de ce qui sera fait de ces données récoltées. « Suis-je le seul à être mal à l’aise que Facebook en soit à l’initiative, aussi soudainement ? » s’interroge Jean-François Pillou. « Les données collectées ne seraient-elles pas plus utiles dans les mains de la lutte contre le terrorisme ? » 

Pour compléter le dispositif, Facebook propose dès le lendemain aux internautes de « manifester leur soutien à la France », en affichant une photo de profil temporaire (son nouveau format) aux couleurs du drapeau tricolore… Une fonctionnalité qui avait été inaugurée pour la Gay Pride, aux couleurs de l’arc-en-ciel. Et qui n’a pas manqué, une fois de plus, d’être critiquée par certains, au point d’en faire une polémique… S’agit-il du « marqueur supplémentaire d’une société en voie d’anesthésie » ? « On essaie de nous confisquer le droit de comprendre nos émotions, de les exprimer aussi librement et intuitivement qu’elles jaillissent de nous » s’insurge Jean-Luc Poisson. Romain Ligneul va encore plus loin et s’interroge sur « la pression de la conformité sociale », l’influence de ce choix unique proposé par Facebook dans nos comportements politiques et le traitement qui sera fait de ces données. Par phénomène de dissonance cognitive, affirme le neuro-scientifique, « chacun aura tendance à être un peu plus patriote qu’avant ».

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« Il y a des jours comme ça où même anar on porte un drapeau parce que c’est tout ce qui reste à brandir après l’embrasement et il est bleu blanc rouge. Il y a des jours où on aime ce pays même quand il a tort, même quand il se trompe parce qu’il est nous jusque dans les entrailles » réagit le chanteur du groupe Zebda.

Rappelons que ce sont bien les valeurs du drapeau tricolore qui étaient visées le 13 novembre, et surtout que chacun est libre d’activer ou pas la fonction, de préférer un bandeau noir, un « peace », un « pray » for Paris, ou encore un « fuck terrorism », d’aller donner son sang, de mettre une bougie à sa fenêtre, ou de se mettre en terrasse en faisant un doigt d’honneur, bref d’exprimer sa tristesse, son indignation et sa légitime colère comme il l’entend ! Nous sommes différents mais vivants… et surtout Français, donc il est bien normal d’en entendre crier « gare aux moutons » et râler 😉

Snapchat, AirBnB, Google, Youtube…

Dans la nuit, Snapchat insère dans ses filtres des messages d’alerte : “Le président de la république François Hollande déclare l’état d’urgence et la fermeture des frontières“. Le réseau social très prisé des adolescents propose également un filtre “Des prières pour Paris” sur fond d’un drapeau tricolore. Si l’on a vu moins de gens polémiquer là-dessus, est-ce simplement parce que la génération Y et Z est encore peu représentée dans les médias ?

AirBnB s’engage en annulant ses frais de service et en permettant aux hôtes de proposer leur logement gratuitement.

Google propose quant à lui des communications gratuites, via son système Hangout.

Youtube ajoute le drapeau français sur son logo.

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Uber enfin, avertit d’abord ses utilisateurs de la « perturbation » puis affiche des petites voitures bleu-blanc-rouge sur ses plans… Et on est d’accord, je ne vous parle pas de Youporn ?

Alors ? S’agit-il pour tous ces géants du web d’une réelle émotion partagée ou d’un philanthropisme intéressé pour redorer leur blason auprès des Français ? Je laisserai à chacun sa conclusion.

Psychoses, hoax, récupérations, rumeurs…

Alors que Twitter a immédiatement stoppé tout publicité, sur Instagram, où tout le monde peut désormais créer de la pub comme sur Facebook, des messages promotionnels de très mauvais goût ont circulé. Le réseau n’aurait-il pas pu intervenir pour l’empêcher, comme s’interroge Marc Thébault ?

 

Comme à chaque émotion collective, des internautes profitent immédiatement de la situation pour faire circuler de fausses informations, manipuler l’opinion, ou « faire le buzz ». Comme décryptent France Télévisions et Les Décodeurs, de nombreuses fausses photos de la Capitale (déserte) et du Bataclan circulent alors, tout comme de faux messages de la mairie de Paris, une fausse attaque aux Halles, une fausse manifestation en Allemagne, ou encore un Empire State Building devenu tricolore sous Photoshop… Tout cela rappelle que la prudence est de mise, avant de retweeter et d’y donner involontairement écho. BataclanFakeParmi d’autres écœurements, Slate dénonce ces récupérations politiques des extrêmes en plein deuil national, faisant voler en éclat le court moment d’unité nationale. ParisAttacksFake Deuil des familles et des amis, également bafoué par certains internautes, diffusant des photos sans réfléchir… Nous sommes plongés au cœur du drame sur tous les écrans : sur les réseaux, la diffusion non contrôlée d’informations peut être choquante, comme dans les médias ! La police et la préfecture ont ainsi dû rappeler les règles de décence pour les victimes.  

« Hashtag activism » ?

Parfois critiqué pour être le symbole d’une « génération paresseuse », qui ne saurait plus s’engager autrement qu’en cliquant depuis son salon, le hashtag activism a démontré lors de ces tragiques événements qu’il pouvait être non seulement le signe de rassemblement d’une génération ouverte sur le monde, mais surtout un moyen utile de se signaler pour passer à l’action. Dans la nuit du 13 novembre, il était moins question de cliquer depuis son canapé, que d’ouvrir des portes…

On répète, souvent à raison, que les réseaux sociaux nous divisent et accentuent les clivages, notamment en temps électoral. Il faudra dire aussi maintenant qu’ils nous rassemblent. Et se souvenir que les peuples peuvent s’en emparer pour renverser un dictateur, s’entraider lors d’une catastrophe ou en temps de guerre !

On dit, souvent à raison, que les réseaux sociaux ne sont pas « la vraie vie ». Il faut dire aussi qu’ils nous ressemblent ! Comme un miroir braqué sur nous-mêmes, on y trouve le meilleur comme le pire, de l’empathie et de l’égo, des lumières et de l’obscurité, et peut-être au fond, ce qu’on mérite d’y trouver. N’est-ce pas la même chose dans le monde qui nous entoure ? Oui il y a des trolls, de la haine, de la bêtise (cette chose la mieux partagée au monde) mais aussi et surtout pour la majorité de internautes, de l’amour, du soutien, de la solidarité, et une formidable humanité, touchée au cœur, si frêle et fragile mais toujours vivante. C’est sur le formidable message d’espoir citoyen d’une fraternité française et mondiale, au milieu de l’horreur de ce 13 novembre, que je terminerai mon billet, le cœur lourd et la boule dans la gorge, comme beaucoup d’entre vous qui me lisez, et que j’ai plaisir à lire, même lorsque nos avis parfois divergent… Bordel, exprimons-nous, vivons et aimons-nous, puisque c’est ça qu’ils veulent tuer !

 

PS : merci Cap’Com pour le relai sur son site, et merci à tous !

A vous la parole !

déclarations qui seront retenues contre vous :

Consultant indépendant | Digital lover | Communication publique et corporate | Auteur, formateur et conférencier | Fondateur de l'Observatoire socialmedia des territoires | Membre-fondateur DébatLab | Ex directeur agence Adverbia et blog-territorial

 

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